Corrigé de l’essai
La clé de toute éducation réside-t-elle dans la confiance en soi ?
L’éducation peut être définie comme la mise en œuvre des moyens de formation et de développement d’un être humain. Comme le rappelle Michel Serres, dans l’article du Monde « Éduquer au XXIe s », toute réflexion sur l’éducation s’interroge sur son contenu, sur ses modalités et sur ses destinataires.
Or, dans un contexte où à la maison et à l’école les relations interpersonnelles et le rapport au savoir présentent, d’un individu à l’autre, d’importantes différences, l’éducateur doit-il s’adapter à l’être à éduquer au point de mettre au premier plan le développement spécifique de sa confiance en soi ?
Nous verrons dans un premier temps que la confiance en soi tient une place importante dans tout processus éducatif, mais que l’éducateur ne saurait se passer d’autres valeurs.
[I]
Tout d’abord, l’éducation doit s’appuyer sur la spécificité naturelle de l’enfant, dans la mesure où l’on doit reconnaître que chaque individu est unique, pourvu de ses propres talents, compétences, intérêts et modes d'apprentissage. En effet, comprendre et s'adapter à la spécificité naturelle de chaque enfant peut aider à optimiser le processus d'apprentissage. Par exemple, certains enfants apprennent mieux à travers des approches visuelles, d'autres à travers des méthodes auditives. Par ailleurs, lorsque l'éducation est alignée sur les intérêts naturels d'un enfant, celui-ci est plus susceptible de s'engager activement dans le processus d'apprentissage. Cela peut stimuler la motivation intrinsèque, conduisant à une participation plus soutenue. De plus, identifier et cultiver les talents naturels d'un enfant peut favoriser un développement plus complet de ses compétences. Cela contribuera à la construction de la confiance en soi et à l'estime de soi. Enfin l'éducation peut être adaptée de manière à réduire le stress et l'anxiété associés à des approches éducatives qui ne correspondent pas à ses besoins individuels. Ainsi Ponocrate, dans les chapitres XXIII et XXIV de Gargantua, s’adapte aux besoins de son élève, « selon son âge », selon son rythme, comme le préconisera Montaigne (« savoir descendre au niveau de l’enfant », dans son essai « De l’Institution des enfants »).
Ensuite une éducation qui se veut humaniste doit permettre à chacun de s’épanouir dans la société. En effet, l'éducation vise à aider les individus à se comprendre eux-mêmes, à découvrir leurs passions, leurs talents et leurs intérêts. En favorisant le développement personnel, l'éducation contribue à l'épanouissement individuel. Une éducation complète inclut souvent l'enseignement de valeurs civiques, éthiques et sociales. Lorsque les individus sont bien éduqués, ils sont plus enclins à participer activement à la société, à comprendre leurs droits et responsabilités, et à contribuer positivement à la vie communautaire. L'éducation favorise aussi le développement de compétences sociales essentielles, telles que la communication, la collaboration et la résolution de problèmes. Ces compétences sont cruciales pour s'intégrer harmonieusement dans la société.
En outre, une éducation solide offre aux individus les outils nécessaires pour prendre des décisions éclairées et autonomes. Elle les émancipe en les dotant des connaissances et des compétences nécessaires pour gérer leur vie de manière indépendante. Enfin, dans un monde en constante évolution, l'éducation doit fournir aux individus les compétences nécessaires pour s'adapter aux changements, qu'ils soient technologiques, économiques, ou sociaux. Dans le chapitre L de Gargantua, le géant fait sa « harangue aux vaincus », discours dans lequel apparaît au lecteur un véritable chef de guerre, clément et juste, capable de mesurer ses propos et de proposer une planification raisonnable de l’après-guerre, entouré de ses ministres les plus fiables, dont son ancien précepteur Ponocrate, nommé « surintendant de tous ses gouverneurs ».
Nous l’avons vu, une éducation réussie prend en compte les facteurs favorisant la confiance en soi. Mais elle doit également reposer sur la transmission de savoirs, de savoir-faire et savoir-être universels, qui, du reste, ne sont pas toujours des freins au gain de confiance.
[II]
L'éducation ne doit pas se limiter à la transmission de connaissances académiques, mais elle devrait également viser le développement holistique de l'individu, lui permettant de s'épanouir sur les plans personnel, social et professionnel au sein de la société. Ainsi, l'ajustement de l'éducation pour tenir compte des différences individuelles peut contribuer à créer un environnement éducatif plus efficace et enrichissant.
Mais il est important de noter que d’autres valeurs éducatives ne peuvent être négligées et que cela ne signifie pas nécessairement une approche complètement individualisée pour chaque enfant, car les ressources et les structures éducatives peuvent limiter cette approche dans de nombreux contextes.
Nous insisterons sur l’appétence intellectuelle et en général la curiosité que l’adulte doit éveiller chez l’être à éduquer. C’est ce que prône Victor Hugo dans le poème « À propos
d’Horace », célèbre passage des Contemplations dans lequel le « je » poétique rappelle
de douloureux souvenirs d’école. Hugo y déplore que de « vif[s] esprit[s] agile[s] » soient bridés sous la férule d’adultes sévères et ignorants, et risquent
de « Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé, /
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé ». Naturellement cette curiosité ira nécessairement de pair avec un certain degré de liberté octroyée au jeune à éduquer, mais également avec des expériences partagées avec l’adulte référent, qui joueront à long terme un rôle
incitatif : un enfant fréquemment accompagné par ses parents lors d’activités de découverte en pleine nature sera nécessairement sensibilisé aux questions de la sédentarité ou de
l’environnement.
Enfin il s’agira de laisser aller l’imagination des jeunes gens dans des situations adaptées et de laisser naître la volonté d’apprendre et de maîtriser une compétence, comme l’indique J.-J. Rousseau dans Émile ou De l’Éducation : « Exercez son corps, ses organes, ses sens, ses forces, mais tenez son âme oisive aussi longtemps qu’il se pourra. Redoutez tous les sentiments antérieurs au jugement qui les apprécie » et « laissez mûrir l’enfant dans l’enfance ». Ainsi Gargantua ne récite les vers de célèbres auteurs latins, grecs ou italiens qu’une fois qu’il a atteint la maturité littéraire suffisante pour traduire ces œuvres en français et pour s’adonner ensuite à des jeux créatifs. Ponocrate n’impose donc pas, en respectant le rythme de l’être à éduquer, la réduction des exigences pédagogiques, mais il fait en sorte que Gargantua découvre au bon moment les contenus adéquats, de façon qu’il s’en empare de la manière la plus autonome possible (chapitre XXIV : « Car, dans le beau pré, ils récitaient par coeur quelques jolis vers des Géorgiques de Virgile, d'Hésiode, du Rustique de Politien, composaient quelques plaisantes épigrammes en latin, puis les transposaient en langue française, en rondeaux et ballades »).
En somme, la confiance en soi peut être un élément important dans le processus éducatif, mais, comme Rabelais dans Gargantua, on peut également mettre en avant d'autres valeurs, telles que la curiosité intellectuelle, la modération, la compréhension des arts et des sciences, ainsi que le sens de la justice. Ainsi, bien que la confiance en soi puisse jouer un rôle, elle n'est pas la clé unique de l'éducation.
Dès lors nous pourrions nous poser cette question sous-jacente : la bonne éducation est-elle celle qui apprend à douter ?
_____________________________________________________